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Vos écrits

Le printemps ne nous oubliera pas

A ma fenêtre je vois trois jeunes qui font du foot sur un parking.

J’entends un enfant qui crie dans la résidence en face puis une voix de femme, de plus en plus fort, je ne comprends pas ce qu’elle lui répond.

J’entends le chant des oiseaux qui se répondent, le vrombissement des abeilles qui se sont installées dans le châssis de mes fenêtres.

Je vois un ciel bleu, bleu comme notre paradis, bleu comme notre enfer, un bleu éternel, comme un ciel de Sud. 

A ma fenêtre ouverte je sens le soleil qui chauffe ma peau comme une promesse. 

Je sens l’odeur sucrée de la renaissance.

Le printemps ne nous a pas oubliés.

A ma fenêtre j’entends la fille d’un voisin rire aux éclats.      

Je n’entends pas ses pleurs la nuit quand elle murmure à son père : « Je ne veux pas mourir. »

Le printemps ne nous oubliera pas.

A ma fenêtre je vois une femme décharger des courses de son coffre. Je ne vois pas si elle est sereine de rentrer chez elle, si elle appréhende, si quelqu’un l’attend ou s’il aurait mieux valu que non.

Je ne vois pas les familles pour qui la porte s’est refermée sur l’enfer.                               

Je n’entends pas les cris étouffés dans la gorge de ceux qui meurent en silence.

A ma fenêtre, à 20h, je vois et j’entends mes voisins qui applaudissent et chantent. Je ne vois pas les mains brûlées et les visages meurtris des soignants. Je ne vois pas la fatigue de 100 ans dans leurs yeux.

Je ne vois pas les mots qu’on leur écrit pour leur demander de quitter leurs logements.

Je ne vois pas les brancards dans les couloirs, les malades qui étouffent comme des poissons hors de l’eau.  Et qui meurent seuls.    

Je ne vois pas les proches des défunts qui ne peuvent pas leur dire adieu, ni à l’hôpital ni au cimetière.

Je ne vois pas les 252 000 corps.

Je ne vois pas le cortège de cercueil à Parme.

Je ne sens pas l’odeur de brûlé à Pripiat ou Tchernobyl.

Je n’entends pas les coups de feu et les corps qui tombent, au Yémen ou ailleurs.

Je vois les mots sur les pages de mes livres qui me creusent un refuge et me prennent dans leurs bras.

Je vois les mots avec lesquels je noircis cette page et je pense à ceux qui, comme moi, écrivent.

Je ne vois pas non plus les pommiers, les glycines ou les lilas en fleur.

Les poissons et les dauphins de retour dans les eaux de Venise.                                         

Les canards qui se promènent dans les rues.

Je ne vois pas toutes les initiatives solidaires, les jeunes qui font des courses pour les personnes âgées de leurs quartiers, les mots que les personnes s’échangent, même quand elles ne sont pas proches « est-ce que vous allez bien ? » , « prenez soin de vous ».

Je ne vois pas les vidéos diffusées sur internet, dans lesquelles des centaines de personnes des quatre coins du monde chantent ensemble.

Je ne vois pas qu’en une journée, 2 500 malades ont guéri en Italie.

Que le trou de la couche d’ozone se rebouche.

Que les tortues de Thaïlande pondent.

Que les familles se parlent plus que jamais.

Mais je sais.

Le printemps ne nous oubliera pas.

Anne Burzynski
Avril 2020

Thème de l’atelier : le confinement

 

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